Sur le pont : Karen Morch

Karen Morch a remporté la médaille d’or de la première compétition féminine de planche à voile aux Jeux olympiques en 1984 alors que c’était toujours un sport en démonstration, et elle a été intronisée au Temple de la renommée de la voile canadienne l’automne dernier. Discussion « Sur le pont » avec la navigatrice née à Thunder Bay et résidant maintenant à Toronto.

Félicitations pour votre intronisation au Temple de la renommée de la voile canadienne. Comment vous sentez-vous?
D’être intronisée au Temple de la renommée de la voile canadienne a été un moment profond qui m’a donné le cadeau d’avoir une réflexion sur mon histoire avec la voile. Non seulement sur mes propres réalisations, mais de la profondeur de l’amour de notre famille pour la voile alors que le nom Morch peut être tracé à des générations de constructeurs de bateau au Danemark. À mon grand-père danois qui est déménagé au Canada, qui a conçu et construit des pièces de bateau à Belleville jusqu’au début de la Seconde Guerre Mondiale alors que Morch Manufacturing, le nom de son entreprise, a été converti à faire des pièces d’avion pour l’Aviation royale canadienne. Il était un navigateur passionné et il a amené ses enfants dans le monde de la voile. Mon oncle Ian est devenu un partenaire intégral dans le développement de C&C Yachts. Et, évidemment et plus important encore, le grand amour de mon père et de ma mère pour la voile alors que les deux compétitionnaient et faisaient de la croisière partout, des Grands Lacs, en Alaska et en Nouvelle-Zélande, ce qui était inspirant. Alors, ma réponse quant à mon intronisation amène également une riche profondeur de navigateurs. De dire que j’étais extrêmement heureuse et très honorée d’être intronisée ne serait pas complet sans ces réflexions.

Vous avez remporté la médaille d’or en planche à voile aux Jeux olympiques de 1984. Comment vous sentiez-vous lorsque vous avez réalisé que vous aviez remporté l’or?
En vue de la dernière épreuve, je savais que j’avais une bonne chance de gagner une médaille. Avec les grands vents et les grosses vagues, les conditions les plus difficiles pour une épreuve en slalom que j’ai jamais vécu, j’ai tout donné alors que je voyais beaucoup de compétitrices avoir des problèmes. J’ai réussi à passer au travers pour finir au cinquième rang, en slalom, et je savais que les chiffres seraient serrés pour l’or alors que les meilleurs compétiteurs se bousculaient derrière moi au classement. Lorsque Rob Bruce de Kingston, qui était le gestionnaire de l’épreuve en démonstration aux Jeux, est venu et a cogné à la porte des vestiaires (peu après la finale) pour me dire que j’avais remporté l’or, j’ai eu un moment de choc et de joie en même temps! La réalité de gagner l’or si convoité était immense après toutes ces années d’entraînement dévoué et à compétitionner à travers le monde. C’est difficile d’expliquer l’ampleur de ce moment, mais, en y réfléchissant, c’était incroyable parce que c’était comme un rêve devenu réalité, mais un que je n’aurais jamais imaginé.

Quel est votre meilleur souvenir des Jeux olympiques de 1984?
La joie d’avoir un de mes meilleurs amis arriver peu de temps avant la cérémonie des médailles, Frank McLaughlin. Il avait conduit de Santa Barbara après sa compétition avec son coéquipier Martin ten Hove qui participaient également à ses premiers Jeux olympiques. J’étais en ligne pour la cérémonie lorsque j’ai senti une main sur mon épaule. Je me suis retournée et il y avait Frank qui m’a dit : « Hey, comment ça s’est passé? » C’est là que j’ai éclaté pour la première fois: « J’ai gagné la F-ing médaille d’or ». Il était la première personne avec qui j’ai partagé cette nouvelle alors qu’il n’y avait pas de temps pour appeler mes parents du moment où Rob m’a partagé la nouvelle à, quelques minutes plus tard, être en ligne pour la cérémonie. C’est un moment que je n’oublierai jamais alors que c’était très spécial car Frank et moi avons grandi en voile en tant qu’ami, mais également en tant que compétiteurs qui se supportaient.

Mon autre grand souvenir a été l’épreuve en slalom. Tous les autres compétiteurs semblaient avoir des problèmes dans le parcours et ce, dans des conditions difficiles, et j’ai pris un moment pour me calmer et je me suis dit : « Tu peux le faire Morchie, tu vas l’avoir! ». Et le reste n’est que l’histoire!

Quel a été votre plus grand défi en vue des Jeux de 1984?
Le plus gros défi était que je jonglais beaucoup avec différentes parties de ma vie au printemps de 1984. Je venais de terminer ma dernière année à l’université, je faisais du « dry land » pendant le printemps, incluant d’accrocher un « wishbone boom » de planche à voile dans le sous-sol de mon appartement (ça n’a pas beaucoup aidé pour la force), mais ça contribué à habituer mes muscles comme si c’était de la planche à voile. D’accrocher la bôme a aussi permis d’avoir des callosités sur la paume de mes mains afin d’éviter que ma peau arrache lors de notre première compétition de la saison au début du mois de mai. Dans les derniers jours d’avril, j’ai terminé mon dernier examen, je suis revenu à la maison, j’ai jeté les derniers items dans mon sac, incluant ma thèse d’étude indépendante de 40 pages dans un format préliminaire, et j’ai sauté sur un avion vers l’Italie pour les Championnats du monde de voile par équipe. À noter que mes mains ont déchiré malheureusement. J’ai enrubanné mes mains à chaque jour, une façon difficile de compétitionner, mais, grand merci, ça n’a pas eu d’effet sur nos résultats alors que nous avons été à égalité en première place à notre quatrième tentative pour le titre mondial.

Et il y avait également tous ces ajouts à notre saison régulière aux niveaux des compétitions locales et nord-américaines, les essais olympiques, etc… Puis, je suis allé défendre mon titre mondial à Perth, en Australie. C’était donc une route très intense vers les Jeux..

Avez-vous essayé de participer aux Jeux olympiques de 1988?
Ma vie avait changé. J’ai rencontré l’amour de ma vie après les Jeux olympiques de 1984 et il a dû aller à l’école en Italie à l’automne. Nous sommes donc allés en Europe, pour finalement habiter deux ans en Angleterre. Lorsque je suis revenu au Canada, mon monde avait changé. Je débutais ma vie de famille, incluant des enfants, et c’était un tout nouveau chapitre de ma vie, ce dont j’étais très heureuse. Et je n’ai jamais arrêté de faire de la voile, d’enseigner, d’entraîner ou de faire moi-même de la compétition, mais les Jeux olympiques de 1988 n’était pas sur mon radar.

Quelle était l’importance de cette médaille d’or pour vous, sachant que la planche à voile était, à ce moment, un sport de démonstration?
Je ne sens aucune différence dans ce que j’ai vécu dans l’épreuve de démonstration alors que c’était une épreuve de voile remplie de médailles pour la première fois aux Jeux de L.A.. La planche à voile était à son summum! Aux Championnats du monde de planche à voile en 1983 à Kingston, nous avons eu le plus grand nombre de participants, 800 de 27 pays, le plus grand nombre de n’importe quelle compétition mondiale jusqu’ici en dinghy ou en planche à voile. La compétition était à un très haut niveau dans toutes les disciplines. Autant dans la course en triangle ou à l’épreuve de démonstration aux Jeux olympiques de 1984 à Santa Barbara, nous étions en compétition avec les meilleurs. Je suis donc très fière de ma fiche en course de parcours, ce qui me démarque, et j’ai dû faire un nombre incroyable d’entraînement pour être très bonne dans les quatre épreuves de ce magnifique sport qu’est la voile. Maintenant, c’est une belle sensation d’occasionnellement ouvrir le site internet officiel des résultats des Jeux olympiques, et de m’y retrouver. Alors pourquoi je n’accorderais pas une valeur moindre à ma médaille, alors que le Comité international olympique le fait. Je sais que certaines personnes peuvent se sentir différent à ce sujet, mais pas moi. Nous étions en compétition au sommet du sport, le plus compétitif, alors je pense vraiment que j’étais parmi les meilleures au monde.

Comment voyez-vous le fait que la planche à voile est maintenant exclus des Jeux olympiques?
Je suis un peu triste parce que je pense qu’il y a encore beaucoup d’individus extrêmement talentueux, avec de très bonnes habiletés. Mais je crois que c’est comme dans plusieurs sports, ça évolue, comme le ski. C’est parti d’être seulement du slalom et des descentes et ils ont maintenant inclus du ski acrobatique, des trucs dans les airs et des variations vraiment incroyables. Je vois comment les différents aspects du sport évoluent. Je suis triste de voir la planche à voile partir, mais je crois vraiment que ce sera très amusant de voir ce qu’ils peuvent faire avec les épreuves de planches à voile avec « foils ». Et qui sait, peut-être qu’ils reviendront en arrière avec un autre design, comme la planche à voile originale alors que sa popularité a augmenté. J’ai également lu qu’entre 2018 et 2020, la popularité de la planche à voile a augmenté de 163 %. Qui sait ce qu’il adviendra avec le sport. Je suis toujours intéressée à voir des changements et de nouveaux défis évoluent dans n’importe quel sport.

Que pensez-vous du Kite Foiling?
Je crois que ce sera un grand saut pour plusieurs athlètes en voile d’un seul design. Il y a beaucoup de gens sur différentes sortes de planche. Nous avons vécu en Nouvelle-Zélande deux fois au cours des sept dernières années et les Kiwis peuvent mettre un « foil » sur juste n’importe quoi là-bas. Cela ne veut pas nécessairement dire que vous avez tous les mêmes habiletés. Certaines personnes en ont sur de très petites planches, d’autres sur de beaucoup plus grandes. Mais de le faire dans une discipline d’un seul design, je crois que ce sera un défi. Et j’espère que tous ces enthousiastes pour la voile qui utilisent du « foil » prennent vraiment cela à cœur et apprécient ce défi d’être au même niveau avec n’importe quel type, et je réalise qu’ils ne pourront probablement pas faire un circuit régulier triangulaire, au moins pas de la même façon, parce que le « foil » ne va pas face au vent aussi bien qu’un dinghy ou un voilier normal. Alors nous verrons ce qui arrivera.

Vous étiez la première femme à remporter une médaille olympique en planche à voile. Est-ce que vous vous voyez comme une pionnière au Canada et au niveau international?
Quand je pense à comment j’ai commencé au niveau élite des compétitions mondiales, je pense à la pionnière en voile qui a eu le plus d’impact dans le sport, Rhoda Rosen-Ironside. Elle était la voix du support dans la création/promotion de la voile chez les jeunes et les femmes. Elle a vu les différences au niveau de l’accès à la voile pour les femmes qui n’étaient pas aussi impliquées, principalement parce qu’elles étaient plus petites et moins fortes que les hommes, donc pas autant aptes à compétitionner dans plusieurs classes en dinghy. Rhoda a pointé le besoin d’attirer plus de femmes en voile et la notion de créer des événements pour elles, et elle l’a fait au cours de la période où elle a servi au sein du conseil d’administration de l’Ontario Sailing Association. Rhoda est malheureusement décédée en novembre 2011, mais elle vivra toujours avec son « Rhoda’s Kids’ Bursary Fund » qui a créé un accès pour les enfants afin d’avoir une expérience en voile qui, sans cela, n’auraient pas pu en avoir pour des raisons financières.

En ce qui me concerne, j’espère avoir été une inspiration pour d’autres jeunes femmes en voile, plus qu’une pionnière je dirais, alors que j’ai fait beaucoup d’entraînements aux niveaux local et provincial.

Que pensez-vous de la place des femmes en voile?
Je pense que nous étions lents, honnêtement en tant que pays, à reconnaître que, pour des raisons physiques, et non en raison de la capacité des femmes, la participation des femmes était bloquée dans le sport. Depuis le premier jour que j’ai débuté la voile féminine, le sport s’est réellement développé et je suis tellement contente des femmes qui étaient aux Jeux olympiques, comme Mariah Millen et Ali ten Hove, deux filles de vieux amis et compétiteurs olympiques également, John Millen et Martin ten Hove, avec qui j’ai grandi. J’admire beaucoup leurs enfants Ali et Mariah. Leur dévouement rigoureux à l’entraînement international et à leur agenda de compétition, spécialement au cours des dernières années, a été incroyablement demandant et inspirant. C’est vraiment un grand signe, et je pense que c’est vrai pour plusieurs navigatrices.

Qu’avez-vous fait à la suite de votre carrière en tant qu’athlète?
À la suite des Jeux de 1984, je suis déménagée en Angleterre avec mon fiancé où j’ai enseigné la voile. Je suis également devenu une journaliste à la pige pour la Presse canadienne à Londres. À mon retour au Canada, je suis retourné à l’école pour obtenir mon diplôme en enseignement et au cours des trois ans d’enseignement, nous avons accueillis trois enfants magnifiques. Ma carrière a pris un changement après une blessure et j’ai été introduite à une branche de l’ostéopathie, une sorte de thérapie physique, appelée la thérapie cranio-sacrée. J’ai été absolument ébahie de son efficacité et j’ai décidé de m’entraîner pour devenir éventuellement une praticienne. J’aime mon travail qui m’a permis d’être une étudiante à vie de ce travail magnifique qui dure maintenant depuis 25 ans!

Avez-vous toujours le temps d’aller faire de la planche à voile ou de la voile?
Absolument. Je n’entraîne plus et je ne fais plus de clinique. J’ai fait de la course avec Joanna Kidd (sœur des brillants athlètes en voile Hughie et Jaimie Kidd) au cours des neuf dernières années à l’exception du temps de la COVID-19. J’ai récemment acheté un Laser d’un jeune qui voulait améliorer le sien, visant une chance d’aller aux Championnats mondiaux de la jeunesse. Les Lasers ont toujours été un de mes bateaux favoris, et mon objectif est de faire des compétitions avec le mien cet été dans les séries hebdomadaires au quai de Toronto. Et, certainement, nous continuerons de profiter de notre bateau de voile familial, un Shark.